Le mégalithisme de la Corne de l’Afrique est l’un des plus riches et exceptionnels du continent africain. Dans le sud de l’Éthiopie, sur les contreforts orientaux de la vallée du Rift, près de cent trente sites identifiés à ce jour rassemblent plusieurs milliers de stèles phalliques ou anthropomorphes. La densité des découvertes, répartie entre les zones Gedeo, Oromo Guji et Sidaama, est unique à l’échelle du continent africain et en fait un ensemble d’intérêt mondial. Le paysage culturel du pays Gedeo vient ainsi d’être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en septembre 2023.
Depuis près d’un siècle, plusieurs générations de chercheurs tentent de percer les secrets de ces mystérieux mégalithes. A la faveur d’une nouvelle mission archéologique française dans la région, le musée Fenaille présente pour la première fois une synthèse de ces travaux autour d’une sélection unique de stèles provenant du site de Tuto Fela.
Cet héritage historique reste encore largement méconnu. Les recherches archéologiques récentes montrent le plein épanouissement de ces sociétés à mégalithes entre le VIIIe et le XVe siècle de notre ère. Aucune source écrite ne mentionne leur existence mais l’ampleur des vestiges conservés appelle à renouveler la place de ces sociétés dans l’histoire du pays et ses relations avec le royaume chrétien d’Éthiopie.
En 1931, le Père capucin François Azaïs (1870–1966) révèle pour la première fois à la communauté internationale ces véritables champs de stèles dissimulés sous une végétation luxuriante, sur les escarpements du lac Abaya. Dans ses pas, plusieurs générations de chercheurs vont se succéder, dont l’ethnologue allemand Adolf Ellegard Jensen (1899 – 1965), le directeur de l’Institut éthiopien d’archéologie Francis Anfray (1926-2022) ou plus récemment les équipes du préhistorien Roger Joussaume.
En 2018, à la faveur du tournage d’un documentaire pour la chaîne ARTE, un nouveau programme de recherche archéologique est relancé. Cette nouvelle mission dénommée
« Abaya » bénéficie du soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Elle réunit des spécialistes issus de diverses disciplines et vise à affiner la connaissance de ces sites, leur chronologie comme leur fonctionnement. Plus largement, elle cherche à mieux comprendre les conditions d’apparition de ces ensembles monumentaux dans cette région du sud de l’Éthiopie.
Le musée Fenaille, partenaire de ce projet, accompagne la mission sur les questions de conservation, restauration et valorisation. Autour de son ensemble unique de statues- menhirs — premières représentations de l’Homme en grand en Europe occidentale — l’établissement nourrit depuis plusieurs années une réflexion sur la représentation de la figure humaine dans les sociétés préhistoriques ou extra-européennes. Les expositions d’intérêt national Île de Pâques, l’ombre des dieux en 2018 ou plus récemment Idoles, l’art des Cyclades et de l’Anatolie à l’Âge du bronze, en collaboration avec le musée du Louvre, s’inscrivaient dans cette perspective.
L’exposition Éthiopie, la vallée des stèles prolonge cette réflexion et vise à restituer le
travail scientifique engagé depuis près d’un siècle autour de ces monuments comme les résultats les plus récents, fruits des nouvelles techniques d’investigation en archéologie. Elle ambitionne aussi de présenter les enjeux actuels de conservation d’un patrimoine fragile, soumis à une forte pression démographique, dans une région où prédomine une agroforesterie traditionnelle reconnue au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO, associant la gestion de la forêt à la culture du café et de l’ensète, un proche cousin des bananiers.
Cette exposition s’appuiera sur un ensemble unique de stèles éthiopiennes conservées dans les collections du Weltkulturen museum de Francfort suite aux missions de l’ethnologue Adolf E. Jensen. Près d’une dizaine de monolithes provenant du site de Tuto Fela seront présentés pour la première fois en France, en association avec des dessins et aquarelles réalisées sur le terrain par l’artiste Alf Bayrle. Cette sélection sera complétée par un large choix de sculptures, objets, photographies et archives de fouilles provenant de collections publiques françaises et allemandes (musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Paris ; Frobenius- Institut, Francfort …). Cet ensemble restituera le contexte culturel et politique
Cette exposition sera déclinée dans un deuxième temps en Éthiopie en s’appuyant sur les collections et la documentation conservée dans les différentes institutions, en collaboration avec le musée national d’Addis-Abeba et l’EHA (Ethiopian Heritage Authority). Un important programme de sensibilisation et de formation des communautés locales accompagne ce projet en pays Gedeo.